Les cinq cent mille obus tirés dans le lac Saint-Pierre par l’armée canadienne
Le bassin du lac Saint-Pierre a été l’objet de nombreux travaux visant délibérément à modifier sa géomorphologie et son hydrographie. À ceci s’ajoutent toutes les activités ayant mené à des modifications involontaires de cet écosystème, ou, du moins, à des modifications qui n’étaient pas le but de ces activités, mais qui en sont néanmoins le résultat.
J’inclus dans cette dernière catégorie les cinq cent mille obus tirés dans le lac Saint-Pierre par l’armée canadienne, pour fins de tests et d’entraînement, entre 1952 et 1999. La zone de tir, qui fut active pendant près de cinquante ans, couvrait environ 40 % de la superficie du lac.
La grande majorité des tirs étaient de projectiles d’exercice, c’est-à-dire des cylindres métalliques sans charge explosive. Mais on a aussi testé des obus à charge explosive : le ministère de la Défense calcule qu’environ 8 000 munitions explosives non explosées (UXO) se trouvent toujours au fond du lac. Toujours selon ces calculs, 2 000 de ces UXO seraient dangereuses au toucher.
On estime que l’impact de cette pollution sur la faune et la flore serait négligeable. Par contre, la présence de telles bombes surtout dans la vase de sections peu profondes du lac (moins de deux mètres) pose un risque aux pêcheurs et plaisanciers.
Le risque est peut-être, somme toute limité puisque de tels accidents n’ont pas eu lieu au cours de 70 ans depuis la création du site, sauf de façon quasi volontaire : en 1982, un résident de Nicolet avait lancé un de ces obus dans un feu de joie de la fête nationale. L’explosion l’a tué et blessé neuf autres personnes.
Le gouvernement du Québec a autorisé par décret, en septembre 2021, le ministère de la Défense nationale (Armée canadienne) à lancer des travaux « d’atténuation du risque à la sécurité publique ». La Défense nationale prévoit donc de retirer environ 15 000 des 300 000 obus qui se trouveraient toujours dans les sédiments lacustres dans une zone peu profonde (<2 m) du lac jugée particulièrement à risque. Ces travaux s’échelleront sur une période de 10 ans, à raison de 70 jours par année de mai à octobre. On prévoit détruire sur place plus de mille de ces munitions explosives non explosées (UXO), le transport de ces dernières étant jugé trop dangereux. Les coûts de cette opération sont estimés à 30 M$. La Défense nationale œuvre déjà à de tels travaux de récupération, mais à un rythme beaucoup plus lent. Deux mille obus avaient été retirés jusqu’à 2018, à raison de quelques centaines par été.
Mortalité de poissons
J’ai mentionné plus tôt que les impacts écologiques de ces obus sont (dans le présent) jugés comme minimes (par exemple, du point de vue toxicologique). On peut même parler d’impacts indirectement positifs. Par exemple, la faune aviaire a pu bénéficier de grands espaces laissés à l’état plus ou moins sauvage, la dangerosité des projectiles non explosés ayant grandement limité l’activité humaine dans cette zone (voir plus bas : Paradoxe écologique).
Cela dit, le retrait des obus aura des impacts négatifs. Les documents publiés au registre des évaluations environnementales pour ce projet caractérisent entre autres les impacts des explosions sur la faune aquatique. On calcule que plus de 1 700 projectiles non explosés sont trop à risque pour être déplacés. Dans ces cas, on devra procéder à la détonation in situ, à l’aide d’une charge explosive complémentaire déposée à proximité du projectile. (Après chaque explosion, on récupérera manuellement, dans un rayon de 5 m, les rebuts trouvés à l’aide d’un détecteur de métal.)
Des campagnes pilotes de 2016 et 2020 ont visé à estimer l’impact de ces détonations in situ sur les poissons et leur habitat. On cherchait notamment à déterminer le rayon létal, estimé à 30 kPa, pour les divers types de calibres. Malgré l’absence de résultats conclusifs à ce sujet, les auteurs des études d’impact estiment qu’au cours de la période de neuf ans, le rayon létal de ces explosions cumulera pour de 500 000 m2. On calcule donc, en se basant sur les estimations de densité de population de poissons du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs faune, que plus d’un million de poissons sont à risque de mortalité, dont 400 000 perchaudes. (Voir également cet article d’Alexandre Shields dans Le Devoir du 25 octobre 2021.)
L’écosystème du lac Saint-Pierre étant dans un état de santé très précaire, cette mortalité supplémentaire, ainsi que la destruction d’habitats pourrait être critique. Le stock de perchaude est déjà particulièrement inquiétant, et sa pêche interdite depuis plusieurs années. De plus, la zone d’intervention et les habitats peu profonds qui l’entourent contiennent des zones d’alevinage pour l’achigan à grande bouche, la barbotte brune, le crapet-soleil, le doré jaune, le grand brochet, la marigane noire, le méné d’argent, le méné jaune et la tanche.
Reportages sur les obus du lac Saint-Pierre
Cet enjeu fut entre autres l’objet d’une discussion à la radio de Radio-Canada en octobre 2020. Le journaliste Jonathan Roberge y remarque que les centaines de milliers d’obus qui s’y trouvent font « du lac Saint un des lacs les plus dangereux du Québec ». On y apprend que c’est le gouvernement de Maurice Duplessis qui autorise à la défense nationale, au début de la guerre froide en 1952, de commencer à tester à Nicolet des munitions, dont une grande partie est fabriquée à Montréal, alors que bon nombre des canons eux sont fabriqués à Sorel.
En 2010, l’émission Découverte avait présenté à la télévision un portrait plus détaillé et imagé de cette « pêche aux obus ».
Le Centre d’essais et d’expérimentation des munitions de Nicolet et les bombes de General Dynamics
Les tests de munition entre 1952 et 1999 étaient effectués par l’Armée canadienne, au Centre d’essais et d’expérimentation des munitions de Nicolet (CEEM).
Depuis, les tests effectués par les firmes privées font l’usage de buttes d’arrêt plutôt que de laisser les projectiles tomber dans le lac.
Le site lui-même appartient toujours au gouvernement fédéral, mais les droits d’exploitation sont vendus à des intérêts privés.
SNC-Lavalin avait acheté ces droits en l’année 2000, pour ensuite les vendre à l’entreprise états-unienne General Dynamics, dans une transaction conclue en 2010.
General Dynamics est l’un des plus importants manufacturiers d’armes au monde. Sa filiale canadienne, Produits de défense et systèmes tactiques – Canada (GD-OTS) exploite trois usines au Québec : à Repentigny, à Salaberry-de-Valleyfield et à Saint-Augustin-de-Desmaures, près de Québec. Le Centre d’essais et d’expérimentation de Nicolet lui sert à tester essais de munitions.
Il n’est pas anodin de se demander où aboutissent ces armes. Tout comme les autres fabricants d’armes, General Dynamics n’offre pas beaucoup d’information concernant ses clients. Cela dit, on remarque qu’en 2018, le New York Times et CNN avaient rapporté que les fragments d’une bombe de General Dynamics avaient été retrouvés sur le site de l’explosion d’un autobus qui avait tué 51 personnes, dont une quarantaine d’enfants dans un bus au Yémen.
- Article TVA nouvelles « Où sont larguées les bombes fabriquées ici ? »
Paradoxe écologique
Un rapport de projet des forces armées canadiennes publié en novembre 2019 fait état du statut de « refuge exceptionnel » du site du CEEM de Nicolet . Selon ce rapport, « l’utilisation de ce site par le ministère de la Défense nationale (MDN) a permis de préserver l’état naturel de la propriété ».
On y retrouve de nombreuses espèces de plantes, d’arbres, d’amphibiens, de poissons, de mammifères, de reptiles et d’oiseaux. Le site contient des habitats de dix-sept espèces en péril qui incluent le noyer cendré, l’hirondelle rustique, la petite chauve-souris brune, la chauve-souris nordique, le goglu des prés et le petit blongios. Ces habitats sont protégés en vertu de la Loi fédérale sur les espèces en péril. De plus, le site est désigné comme « refuge d’oiseaux migrateurs » depuis 1982. Canard Illimités Canada y a aménagé des étangs pour attirer la faune aviaire.
En 2004, une étude menée par le Service canadien de la faune a identifié, à l’aide de points d’écoute la présence de plus de trente petits blongios, ce qui constituerait « le maximum de petits blongios jamais dénombrés à un seul site au Québec et peut-être même au Canada ».
- Voir : Jobin, B. et Robillard, L. et Latendresse, C. (2006). Inventaire du Petit Blongios sur le territoire du Centre d’essais et d’expérimentation en munitions du ministère de la Défense nationale à Nicolet, Québec, été 2005. Environnement Canada, Service canadien de la faune. Bibliothèque Électronique Lac Saint-Pierre
Le paradoxe écologique issue de cet usage militaire de cette zone riveraine s’apparente à celui d’autres endroits dans le monde ou des espèces animales et floristiques ont bénéficié d’une façon ou d’une autre de l’environnement hostile aux humains créés par l’activité militaire ou industrielle des sociétés. Par exemple, le Rocky Mountain Arsenal, au Colorado, aux États-Unis, était un site de production d’armes chimiques créé en 1942 et utilisé à cette fin jusqu’à la fin de la guerre du Vietnam, alors qu’une autre partie du site était utilisé pour la transformation de pétrole et la production d’insecticides chimiques, et ce, jusqu’au milieu des années 1980. Ces activités on fait de Rocky Mountain Arsenal un environnement extrêmement toxique, inadéquat pour toute présence humaine. Cependant, à partir de 1986, on découvre une quantité importante de nids de Pygargue à tête blanche, une espèce en péril particulièrement menacée à l’époque, ainsi que plus de trois cents espèces animales, faisant de ce site un important refuge faunique.
Information sur la portion île Moras du site du centre de tir ite sur l’
Le site Urban Exploration Resource, un forum d’« exploration urbaine », présente de l’information et des photos inédites à propos de quelques bâtiments faisant partie de centre de tir, ceux-ci sur l’île Moras. La notice sur UER ce complexe se trouve ici
Cette île était auparavant reliée à la terre ferme par un pont, et contenait cinq bâtiments appelés à être démolis.
Des membres du forum UER HiggenBott et jasb10 ont visité ces bâtiments en 2009, et publié plusieurs photos, dont je me permets de reproduire quelques-unes ici.